- RUBÉFACTION ET SOLS RUBÉFIÉS
- RUBÉFACTION ET SOLS RUBÉFIÉSLa couleur rouge est très répandue dans les sols, où elle peut varier du rouge vif au brun-rouge. Elle caractérise divers sols, des régions tempérées aux régions tropicales, mais plus particulièrement deux grandes classes: les sols ferrallitiques et les sols à sesquioxydes de fer et de manganèse (sols ferrugineux au sens large). Les premiers faisant l’objet d’un article particulier (cf. sols FERRALLITIQUES), il sera exclusivement question ici des seconds, parmi lesquels on distingue les sols fersiallitiques ou «sols rouges» des régions méditerranéennes et subtropicales, des sols ferrugineux tropicaux . Dans ces sols, l’altération par hydrolyse des minéraux primaires [cf. ALTÉRATION DES ROCHES] est poussée et généralement profonde; elle conduit à la néoformation d’argile et à la libération de sesquioxydes, en particulier de ceux du fer (dans les sols ferrallitiques, les argiles peuvent être attaquées à leur tour et l’alumine libérée).Depuis très longtemps, les pédologues savent que le fer est responsable de la couleur rouge des sols. Si V. Agafonoff signalait, dès 1936, que cette coloration dépendait de la forme sous laquelle le fer s’y trouvait, c’est plus récemment que divers chercheurs ont pu préciser cette idée. La rubéfaction apparaît actuellement comme étant la formation de fines cristallites d’hématite, paraissant amorphes aux rayons X et plus ou moins déshydratées.La rubéfaction des solsOn n’envisagera ici le processus de rubéfaction qu’en tant qu’apparition dans les sols d’une couleur rouge dominante (5 YR à 10 R de l’atlas colorimétrique de Munsell). Les constituants du sol n’ont pas une couleur déterminée, mais ils ont la propriété de réfléchir et de transmettre une couleur donnée. La couleur perçue par l’œil correspond à la partie du spectre de la lumière réfléchie par ceux-ci. Ainsi, dans un sol brun-rouge (7,5 YR), la couleur rouge peut résulter soit d’un début de rubéfaction, soit d’une simple oxydation des sesquioxydes de fer. On ne parle pas non plus de rubéfaction quand la couleur rouge est originellement acquise, la roche mère comportant de l’hématite.Nature des constituants responsables de la couleur rougeLa couleur rouge des sols a d’abord été attribuée à des sesquioxydes de fer libres (Reifenberg, 1947; Haniset et Waegemans, 1949; Waegemans et Henry, 1954; Stace, 1956; Kamoshita et Yamada, 1956). Puis on a découvert qu’elle était plus précisément due à l’hématite, forme cristalline déshydratée et naturellement rouge, tandis que la couleur jaune résultait de la présence de goethite, plus hydratée (Waegemans et Henry, 1954; Decraene et Laruelle, 1956; Kubiena, 1956; Scheffer, Welte et Ludwieg, 1957; Soileau et Mc Cracken, 1967). D’autres montrent que la coloration rouge des sols est généralement liée à une forme de fer paraissant amorphe aux rayons X (Schwertmann et Lentze, 1966; Lamouroux et Segalen, 1969).Actuellement, les produits ferrugineux amorphes du sol ne sont pas complètement caractérisés, mais certains travaux ont précisé la nature et les propriétés de produits ferrugineux amorphes synthétiques. Déjà Weiser et Milligan (1940), puis Schellmann (1959) signalaient des précurseurs, amorphes et hydratés, de l’hématite.En 1959, Glemser a montré que les précipités obtenus par addition de bases à des sels ferriques n’avaient pas pour formule Fe (OH)3, mais Fe On /2(OH)3 size=1漣n , ce qui signifie qu’il existe une série continue de produits entre n = 0 et n = 3. Schwertmann (1966) a précisé qu’un hydroxyde de fer paraissant amorphe aux rayons X peut se présenter sous forme de très petites particules sphériques à produit de solubilité relativement élevé. Par vieillissement, ces particules deviennent plus épaisses, leur produit de solubilité baisse, un contour polygonal s’affirme, l’eau d’hydratation diminue. Le produit acquiert de plus en plus les caractères de l’hématite.Hypothèses sur la rubéfaction des solsLes données acquises. Le fer inclus dans les roches mères n’est généralement pas rouge. La rubéfaction est donc un phénomène pédologique se produisant au cours de l’altération des roches, et consécutif à l’oxydation du milieu d’altération.Dans les sols rubéfiés, le fer responsable de la couleur rouge existe généralement sous une forme paraissant amorphe aux rayons X. Le maintien à l’état amorphe de ces produits ferrugineux s’explique par leur adsorption à des constituants jouant le rôle d’inhibiteurs de cristallisation: matières organiques, sels d’acides organiques, anions phosphoriques, siliciques, et surtout silicates phylliteux (Schellmann, 1959; Schwertmann, 1966; Schwertmann et al., 1968; Follet, 1965; Pedro et Melfi, 1970).De multiples travaux de laboratoire indiquent la cristallisation progressive d’hématite ou de «préhématite» au sein des sesquioxydes hydratés, au cours du vieillissement. Or, l’observation au microscope électronique des constituants amorphes des sols rouges laisse apparaître des formes globulaires semblables aux petites particules sphériques observées in vitro par Schwertmann (1966).Hypothèse actuelle sur la rubéfaction des sols formés sur roches carbonatées . Un des phénomènes les plus importants dans la pédogenèse des sols formés sur roches carbonatées est la lixiviation de différents constituants solubles, avec décarbonatation complète des sols. Les sols se rubéfieraient au moment où les solutions sont les plus pauvres en ions solubles: K+, Ca2+, Mg2+, etc. On sait, par ailleurs, que les possibilités de croissance des cristaux augmentent beaucoup quand les ions étrangers aux réseaux sont évacués. Ainsi s’expliquerait la naissance de cristallites de «préhématite».Le mécanisme de la rubéfaction par voie humide serait le suivant (Lamouroux, 1971):– Au départ, le fer des roches carbonatées est souvent ferreux. Quand les roches sont ramenées à la surface, le fer s’oxyde au sein d’amas ferrugineux amorphes de couleur brune, isolés dans la masse des carbonates.Quand les carbonates se dissolvent, les amas ferrugineux sont libérés au contact d’un matériau lixivié et de solutions du sol, d’abord riches en ions dissous, puis de plus en plus désaturées après les fortes pluies de l’hiver. Les conditions sont alors réunies pour l’apparition de cristallites d’hématite ou de «préhématite» dans les amas de sesquioxydes: c’est la rubéfaction.– Dès la fin de la saison des pluies, il y a adsorption des sesquioxydes de fer sur la surface des minéraux argileux. Alors intervient le blocage de la cristallisation des sesquioxydes par les silicates phylliteux.Ainsi, la couleur du matériau est rouge, les sesquioxydes de fer sont stabilisés dans un état amorphe, tout en ayant amorcé un début de cristallisation.L’hypothèse d’une rubéfaction par voie sèche (transformation lente, avec le temps et sous des climats chauds et secs) des produits ferrugineux amorphes en hématite ne peut cependant pas être totalement exclue.Rubéfaction des sols formés sur roches non carbonatées et limites de la rubéfaction . La rubéfaction apparaît dans des sols formés sur toutes sortes de roches et sous des climats allant des régions tempérées aux régions tropicales. Mais, sur roches non carbonatées, l’observation permet de mettre en évidence une rubéfaction des sols moins généralisée. Elle ne paraît pas se faire aussi facilement, et, si elle se fait, elle est souvent moins intense que dans les sols formés sur roches carbonatées.Il est fréquent d’observer, dans les régions concernées, des sols parfaitement rubéfiés sur roches carbonatées, alors que sur les schistes ou les basaltes voisins les sols sont bruns ou brun rougeâtre, même en condition de bon drainage.Il peut s’agir ici d’une question d’âge des matériaux en cause. En effet, sur roches carbonatées, les altérations sont très lentes et les sols piégés dans le karst s’érodent difficilement; ils ont le temps d’évoluer et de se rubéfier par petites fractions successives. Sur roches non carbonatées, les altérations sont relativement rapides et les érosions intenses rajeunissent les sols qui n’ont pas le temps d’évoluer et de se rubéfier. En plaine, quel que soit le matériau, la rubéfaction se produit si les conditions sont réunies (temps suffisamment long, milieu bien drainé, climat relativement chaud à saisons sèches et humides alternées). Il arrive aussi que les résidus insolubles à l’eau de certaines roches carbonatées soient déjà riches en sesquioxydes de fer (goethite).A priori, on peut penser que les mécanismes de la rubéfaction des sols formés sur roches non carbonatées sont les mêmes que ceux qui ont été précédemment évoqués.Les limites de la rubéfaction des sols se réduiraient essentiellement à deux:– La première consisterait en une humidité excessive du milieu, due soit à un climat trop humide, soit à un mauvais drainage des solutions du sol. L’absence de périodes sèches suffisamment longues ne permettrait pas aux hydroxydes de se transformer.– La seconde serait un matériau n’ayant pas eu le temps d’évoluer, parce que soumis aux érosions hydriques.Les sols à sesquioxydes de fer et de manganèseLa classe des sols à sesquioxydes de fer et de manganèse, qui, pour une part, correspond à peu près à la classe des alfisols de la classification américaine, se subdivise en une sous-classe de sols fersiallitiques (terme utilisé par certains auteurs pour désigner l’ensemble de la classe) et en une sous-classe de sols ferrugineux tropicaux . Ils s’opposent par différents caractères, en particulier par une rubéfaction développée dans les premiers et faible dans les seconds.Les sols fersiallitiquesCes sols se forment sous des climats à longue saison sèche alternant avec une saison humide. Ils caractérisent principalement les régions à climat méditerranéen, mais peuvent aussi se former sous climat tropical et dans quelques cas sous climat tempéré. Bien que les roches carbonatées soient les roches mères les plus fréquentes, en régions méditérranéennes, ils peuvent se former sur toutes sortes de roches. Ce sont des sols évolués, à profil ABC ou A(B)C.Leurs principales caractéristiques sont les suivantes:– Des minéraux argileux constitués d’un mélange de kaolinite et de smectites (la kaolinite peut être absente, et l’illite peut être abondante si les hydrolyses sont modérées);– Une couleur rouge (10 R à 2,5 YR), qui peut être plus ou moins assombrie par de la matière organique et disparaître en milieu mal drainé;– Une teneur en fer importante, d’autant plus que la texture est plus argileuse, et bien répartie dans le profil. Les sesquioxydes de fer amorphes, responsables de la couleur rouge, sont abondants et ne sont pas indurés. Ils sont le plus souvent fixés sur les surfaces des minéraux argileux dont ils suivent d’éventuelles migrations; ils peuvent aussi être intimement liés aux matières organiques plus ou moins décomposées et, dans une moindre mesure, aux fractions siliceuses plus grossières. Des formes cristallines peuvent être présentes en quantité notable. Enfin, une autre partie du fer peut être fixée à l’intérieur des réseaux silicatés;– Une teneur en alumine libre relativement faible et le plus souvent à l’état amorphe;– Un profil fortement lixivié en constituants hydrosolubles;– Un taux de saturation le plus souvent supérieur à 40 pour 100, dans l’horizon illuvial B;– Une structure polyédrique dans l’horizon B, pouvant s’organiser en structure secondaire ou tertiaire prismatique ou cubique.Les sols fersiallitiques se subdivisent en sols fersiallitiques saturés (à plus de 90 p. 100 dans l’horizon B), généralement peu lessivés ou appauvris, et en sols désaturés (souvent moyennement), lessivés ou appauvris. Ils peuvent en outre être modaux (typiques), molliques (humus doux), hydratés, appauvris, remaniés et polycycliques ou tronqués. Si ce n’était leur épaisseur souvent très faible sur roches carbonatées, où ils sont fréquents, ces sols seraient fertiles. Ils ont un très bon état physique, malgré une texture souvent argileuse, et leur teneur en bases est élevée. Ils sont vite appauvris en matière organique et nécessitent des apports phosphatés. Malgré leur très bonne structure, l’érosion liée à l’agressivité du climat est élevée et des précautions doivent être prises, même sur des pentes faibles. Toutes sortes de cultures sont possibles si l’épaisseur du sol est suffisante et l’approvisionnement en eau convenable.Les sols ferrugineux tropicauxOn a décrit de tels sols surtout en Afrique, dans les régions de climat tropical à longue saison sèche alternant avec une saison humide. La végétation est une savane arbustive ou arborée, les roches mères sont diverses. Ce sont des sols évolués, à profil ABC ou, dans un nombre de cas plus limité, à profil A(B)C. Leurs principales caractéristiques sont les suivantes:– Une couleur brune, grise, beige (10 YR à 7,5 YR) ou tachetée dans l’horizon B. Cette couleur est très claire dans l’horizon A2 quand le lessivage est intense;– Une teneur en fer souvent élevée et irrégulièrement répartie dans le profil. Les sesquioxydes de fer amorphes sont relativement peu abondants. Les conditions étant souvent, au moins temporairement, réductrices, le fer réduit est facilement déplacé et s’indure, après oxydation, sous forme de concrétions, de carapaces ou de cuirasses dans les horizons B et/ou C. Du fer peut être inclus dans les réseaux des montmorillonites, souvent présentes à la base du profil;– Un profil textural généralement lessivé ou appauvri en éléments fins (inférieurs à 2 猪m);– Un profil minéralogique à dominance de kaolinite associée à des minéraux de type illite et, à la base, fréquemment, de montmorillonite;– Une désaturation en base moyenne (S/T 閭 40 pour 100 dans l’horizon B);– Une structure massive dans l’horizon B, sauf si le matériau est très sableux.Les sols ferrugineux tropicaux se divisent en sols ferrugineux lessivés ou appauvris, en sols non ou peu lessivés et en sols remaniés. Chacun de ces groupes est lui-même subdivisé en fonction des composés ferrugineux: répartition, individualisation sous forme de taches de concrétions, de cuirasses, etc.Les sols ferrugineux tropicaux sont souvent profonds, mais un fort concrétionnement ou un cuirassement voisin de la surface peut limiter la pénétration des racines. Bien que moyennement saturés en bases en profondeur, ils doivent une fertilité initiale à l’horizon de surface assez riche en matière organique après défrichement, mais vite érodé et difficile à régénérer. Les horizons de surface sont souvent sableux et présentent une très mauvaise structure, tandis que l’horizon B, argileux et compact, est temporairement hydromorphe, inconvénient difficile à pallier. Sa structure est souvent instable.
Encyclopédie Universelle. 2012.